D'aussi loin que remontent mes souvenirs, je n'ai jamais été désiré. Ma mère s'est cassée de la maison quelques mois à peine après ma naissance, mon père m'a toujours reproché le fait qu'il ait dû arrêter ses études pour pouvoir travailler et m'élever, les profs ma rabâchaient sans cesse que je n'étais qu'un bon à rien et me laissaient tranquille lorsque je dormais au fond de la classe. C'est peut-être pour ça que le monde de la musique m'avait toujours attiré. Si un jour j'arrivais à devenir célèbre, il y allait enfin avoir des gens qui allaient m'aimer, m'apprécier pour ce que j'étais, même si je n'avais jamais aimé la personne que j'étais. J'étais trop roublard, trop menteur, le genre de gosse tête à claques qui manipule son monde pour arriver à ses fins. J'ai volé dans des magasins, j'étais toujours le premier à me lancer dans des bagarres, j'avais fait mille et une choses pour attirer l'attention sur moi. Même si c'était pour finir entre les mains d'un agent de police ou sous la poigne de mon père, au moins on s'intéressait à moi, Seon Byeol Ah.
La seule chose de potable chez moi, c'était mon physique et j'avais su en tirer profit très tôt. Les yeux doux à la boulangère pour avoir une viennoiserie en plus, un clin d'œil intéressé pour réussir à voler la petite-amie d'un copain. J'avais une grande gueule mais j'avais une gueule d'ange, alors on me pardonnait tout ou presque.
Un soir d'été, j'avais eu la bonne idée de me mettre à chanter, basse à la main, en pleine rue passante dans le quartier de Yongno. Après ma dernière chanson, alors que je remballais ma guitare dans son étui, une personne était venue me mettre une carte de visite pile sous mon nez. C'était un démarcheur pour une agence qui débutait et qui me proposait d'intégrer leur groupes de trainees. J'aurais préféré que ce soit une grosse agence qui me caste mais je n'allais pas faire la fine bouche. Je n'avais rien à perdre dans cette vie, moi aussi j'étais personne et je voulais devenir grand, moi aussi je rêvais d'argent et de gloire. Il n'y avait pas une seconde à perdre, j'en ai parlé directement à mon père en rentrant à la maison et le lendemain, on était à l'agence et il signait pour moi le contrat.

En voyant le niveau calamiteux des autres, j'ai vite compris que j'avais une carte à jouer. J'étais beau gosse, je savais jouer d'un instrument alors je me suis donné à fond sur les cours de chant, mon seul point faible à améliorer, parce que j'étais plutôt bon en danse, même si je n'en avais jamais fait auparavant.
Après quelques mois passés à me faire miroiter un début, le directeur de l'agence m'avait convoqué dans son bureau. C'était un samedi matin, celui qui allait changer le cours de mon existence. Ils s'étaient enfin décidés à former un groupe, il y aurait quatre membres et j'en ferai partie. Et pour combler mon bonheur déjà grand, l'agence ne voulait pas d'un groupe de kpop stéréotypé, elle voulait profiter de nos talents respectifs et on jouait tous les quatre d'un instrument différent. Alors on allait devenir le premier groupe Kpop-Rock de l'industrie.
On y croyait fort. J'y croyais fort.

Le premier album a fait un bide. Le deuxième également. C'est une période où on a tous mangé notre pain noir, les membres comme tout le staff de l'agence. On nous avait tous convoqués pour nous dire que le troisième album serait celui de l'ultime chance : si ça ne marchait pas, notre contrat allait prendre fin. C'est le moment où mes crises d'angoisse ont commencé parce que je m'imaginais retomber dans la brutalité de mon quotidien, la vie avec mon père, retomber dans l'oubli alors que je n'avais jamais exactement réussi à atteindre la lumière. Moi qui voulais prouver à mon père que je pouvais être quelqu'un, j'allais plutôt prouver que je pouvais être un moins que rien, comme lui. L'échec coulait dans notre sang.
J'ai passé toute mon angoisse dans l'écriture, j'ai écrit des textes par dizaines et à ma grande surprise, le producteur en avait jugé certains assez bons pour faire partie de notre nouvel album. Le MV de notre titre principal a été tourné sans aucun budget, avec la Go Pro de notre leader, dans un terrain vague. Pas de coiffure ni même de styliste fournis par l'agence... En 3h à peine, le MV avait été bouclé. Deux semaines plus tard, notre conférence de presse pour la sortie de notre album n'avait été attiré que quatre journalistes. Lors de sa première journée, le MV n'avait fait que 256 vues. Ca sentait sérieusement la fin pour The Messengers. Je me voyais déjà faire mes valises et appeler mon père pour le prévenir que j'allais rentrer à la maison.

Mais le miracle eu lieu. La plus grande star du pays, l'acteur Joo Min Jae, a mis la vidéo de notre MV dans l'une de ses story instagram en disant qu'il passait notre chanson en boucle et qu'il n'écoutait que ça. Et ça a été la folie. Vingt quatre heures plus tard, le nombre de vues avait grimpé à 5 millions, des centaines de commentaires étaient postés en demandant pourquoi ils n'avaient jamais entendu parler de notre groupe avant. Les coups de fil se sont succédés à l'agence, les TV Shows nous réclamant sur leurs plateaux télé. Et de plateaux télé en émissions de radio nous sommes allés.
Nos visages ont commencé à être sur tous les écrans géants de la ville et même sur les panneaux publicitaires des bus, c'était le début de la gloire et peut-être était-elle arrivée trop violemment pour le gamin que j'étais, avide de renommée.
Il ne m'avait fallu que quelques mois pour me rôder à ce dangereux monde de l'industrie musicale. Pour certaines stars de la chanson, leur monde s'arrêtait parfois dès que les caméras ne tournaient plus mais moi je faisais en sorte de me sentir une méga star du matin jusqu'au soir. Et surtout du soir jusqu'au petit matin. On était très souvent invité dans des soirées, dans des boîtes de nuit. Le monde de la nuit me plaisait, j'étais à peine majeur et je profitais à fond du fait de pouvoir boire en toute légalité et à me droguer en toute illégalité. Les filles tombaient à nos pieds en un claquement de doigts et nous étions tous les quatre bien incapables de sortir l'autre de cet engrenage. Parce que c'était ce qu'on avait cherché en commençant la musique. La gloire, l'argent, le fun, les filles faciles. On avait tout ça alors pourquoi s'en priver ? J'étais le maknae et sûrement le membre au pire comportement. Il était arrivé quelques fois que mes hyungs me disent de faire attention mais je balayais ça d'un revers de la main avant de lever le coude pour finir mon verre. J'ai enchaîné les nuits blanches à collectionner les filles, je vivais ma vie à fond, je n'avais aucun frein. Une fille différente à chaque concert, une fille différente après chaque show tv, une fille différente à chaque boîte de nuit fréquentée. Je redonnais à mes fans l'amour qu'elle me portait et je n'y voyais aucun mal.

C'était le dernier jour de l'été et déjà les feuilles commençaient à tomber lentement des arbres. La mienne de chute a été violente et inattendue. Je me suis réveillé avec des centaines de notifications et d'appels manqués sur mon téléphone. Je m'étais levé de mon lit, nu comme un ver, laissant entre les draps ma conquête de la nuit. Attrapant mon peignoir en soie, j'étais arrivé au salon en fronçant les sourcils. Mes yeux ne voyaient pas encore bien clair et mon cerveau encore embrouillé par les vapeurs d'alcool et de drogue encore moins. A l'intérieur de moi, j'avais compris qu'il fallait que je m'assois.

Rien ne m'avait préparé à tout ça. J'avais tout et c'était comme si on venait de me retirer toute ma richesse. Adieu ma belle vie, adieu tout ce que j'avais gagné jusque là. Les titres des journaux titraient les plus grosses saloperies sur moi. Bien que rien de tout cela ne soit vrai (du moins, c'est ce que j'espérais, est-ce que je savais réellement qui j'étais et ce que j'étais capable de faire quand j'avais trois grammes d'alcool dans chaque oeil ?) la seule chose dont j'étais persuadé c'était que c'en était fini pour moi. La Corée aime encenser les stars qu'elle aime mais au moindre scandale, tout s'inverse. Que je sois coupable ou innocent, peu importait. Le mal était là, à la une de chaque journal et j'étais devenu un monstre, un violeur aux yeux de toute la nation.
Cinq filles ont porté plainte, indiquant que j'avais profité de chacune d'elles après des soirées bien arrosées. Je cherchais dans ma mémoire si je me rappelais de quelque chose mais pour moi, chacune des filles étant passées dans mon lit était consentante. Mais comment prouver une telle chose ? C'était ma parole contre la leur....
Le scandale n'a pas fait que du mal à moi. Ca a également secoué notre groupe tout entier. Notre leader a claqué la porte, nous n'étions plus que trois. Nous étions à terre, à genoux face à l'industrie musicale et au public qui nous faisait notre procès sur la place publique. Nous condamnant au silence, à me faire douter sur le mec que j'étais, à poster des vidéos où ça brûlait nos albums et déchirait nos posters.
En dehors des auditions au poste de police et les rendez-vous avec mon avocat, je m'étais cloîtré chez moi, me réfugiant une nouvelle fois dans la musique et l'écriture de chansons. L'agence n'arrêtait pas de me dire qu'ils géraient la situation et je ne peux pas cacher que ça me faisait plus peur qu'autre chose de savoir ça. On va prendre les mesures nécessaires. Oh si j'avais su que ça allait me mener à ça... peut-être que j'aurais préféré qu'ils me virent.

Me voilà avec un chaperon canadien entre les pattes. Et le pire dans tout ça, son image est totalement opposée à l'image de notre groupe. Les Messengers, aux concepts toujours dark pour coller avec notre image de K-Rockeurs, venait d'adopter Soeur Sourire pour remplacer notre ancien leader à la batterie.

Et ça ne semblait déranger que moi.