« Et là Tatie, c’est quiiiiii ? » demanda la voix du petit brun assis sur les genoux de sa tante Hye Jin tout en montrant du doigt l’une des photos de l’album.

« Oh, là, c’est ta maman et moi ! » répondit Hye Jin d’un ton amusé. Sur cette photo, elle et sa soeur posaient fièrement dans une tenue de super-héros qu’elles avaient elles-même fabriqué.

Min Jae fit passer son regard de l’album à sa tante puis de sa tante à l’album plusieurs fois. « Quoi ? » demanda la jeune femme en penchant légèrement la tête pour regarder son neveu dans les yeux.

« T’as vieilli ! » fit le petit garçon comme une évidence. Hye Jin laissa échapper un rire. « Tu es bien le fils de ton père, tu sais complimenter les femmes ! » répondit-elle avant d’ébouriffer les cheveux du petit garçon.
De temps en temps, ils sortaient le seul et unique album photos qui allaient suivre Min Jae tout au long de sa vie, un unique album regorgeant de trésors pour le petit garçon car il contenait les souvenirs de ses parents… Du haut de ses huit ans maintenant, Min Jae avait de plus en plus de mal à se souvenir d’eux, de leur voix et même de leur visage. Le temps qui passait faisait s’estomper ses souvenirs petit à petit et sa tante Hye Jin faisait tout son possible pour qu’il ne les oublie pas.
Ils passaient souvent un après-midi à tout feuilleter, des photos datant des tous premiers rendez-vous de ses parents, en passant par les photos du mariage, de la naissance de Min-Jae jusqu’à l’anniversaire de ses quatre ans.
Ensuite… L’album était vide de leurs visages, il n’y avait plus désormais que Min Jae et Hye Jin incrustés dans le papier glacé…

Leurs vies à tous avaient basculé un après-midi d’hiver. Hye Jin était allée récupérer Min Jae à l’école car sa soeur et son beau-frère devaient se rendre à l’hôpital. Yu Ri était enceinte et allait enfin savoir aujourd’hui si elle allait donner un petit frère ou une petite soeur à leur grand fiston, Min Jae, âgé de quatre ans. Sauf qu’ils n’étaient pas arrivés à l’hôpital dans la nouvelle Range Rover que venait d’acheter Min Hyuk… mais plutôt dans deux ambulances des secours qui étaient venus les désincarcérer de leur véhicule après une collision avec un poids lourd qui n’avait pas respecté les feux…
Min Jae avait perdu ce jour là son père, sa mère et celle qui aurait dû devenir sa petite soeur...

Recueilli et adopté par sa tante Hye Jin, la vie du petit garçon avait changé du tout au tout. Changement de maison, changement d’école, les élèves qui le regardaient de travers parce qu’il était nouveau et qui ensuite le rejetaient parce qu’il était « l’orphelin », celui avec lequel il ne fallait pas traîner… Le petit garçon n’avait pas réussi à accepter le rejet et le regard des autres. Très vite, après des bagarres où Min Jae se retrouvait souvent en sang après avoir défendu l’honneur de ses parents, sa tante Hye Jin avait décidé de le retirer de l’école. Il faisait classe désormais à la maison avec un tuteur. Pour l’obliger à avoir des interactions avec d’autres enfants, sa tante avait eu l’idée de lui faire passer des castings, elle qui était à l’époque responsable de communication d’une marque de prêt à porter pour enfants. Min Jae avait tapé dans l’oeil de nombreux directeurs de castings qui ont demandé à la jeune femme de lui faire passer des auditions pour des dramas, friands d'avoir les versions miniatures des acteurs principaux. Min Jae avait un joli visage, de grands yeux expressifs, parfait pour passer à la caméra.

Le succès fut au rendez-vous dès le premier casting : Min Jae avait été choisi parmi cinquante autres petits garçons. Un drama puis un deuxième... Hye Jin avait fini par quitter son boulot pour se consacrer totalement à la carrière de son neveu qui prenait de l'ampleur. Et de la valeur. Elle était désormais son agent et avait réussi à lui décrocher un juteux contrat dans l'une des plus grandes agences d'acteurs de la Corée du Sud.

La vie s'était écoulée ainsi. Entre école à la maison et tournages incessants. Mais Min Jae ne se plaignait jamais, il aimait ce qu'il faisait. Dans les dramas, il avait parfois des parents. Tout n'était qu'artificiel mais cela lui mettait du baume au coeur, lui donnait l'illusion d'être un enfant comme les autres...

Lorsque sa tante lui avait demandé ce qu'il voulait pour son dix-huitième anniversaire, Min Jae n'avait pas hésité longtemps avant de lui demander de lui permettre d'aller à l'université. Lui qui n'était presque jamais allé à l'école de sa vie, il enviait les autres acteurs de son âge qui lui racontaient leur vie au lycée, toutes ces choses qu'il ratait. Les sorties avec les amis, les premiers flirts, la joie d'être un adolescent tout simplement.
Quelques mois plus tard, il s'était inscrit à l'université de SungKyungKwan, dans la section arts, lettres et spectacle. Etre acteur lui plaisait et il voulait poursuivre dans cette voie. La puberté avait bien fait son travail, Min Jae était devenu un magnifique jeune homme, adulé par bon nombre de fans féminines qui le reconnaissaient et le suivaient dans la rue. Pas facile d'aller étudier quand une horde de jeunes filles vous collaient aux bask' mais Min Jae avait réussi à imposer des limites. Miracle, il était même arrivé à se faire quelques amis ! La vie avait suivi son cours jusqu'à cette terrible semaine d'avril 2020...

Lundi 6 avril 2020
Trois ans qu'ils étaient amis. Trois ans qu'il se faisait avoir.... "J'ai oublié mon portefeuille dans la voiture" fit Min Jae alors qu'ils venaient d'entrer dans le restaurant. "Allez vous installer, je reviens !" Alors qu'il faisait chemin inverse, Min Jae s'aperçut comme un imbécile qu'il avait mis son portefeuille dans la poche intérieure de sa veste, lui qui d'habitude le mettait dans la poche arrière de son jean. Il fit alors demi-tour pour rejoindre ses deux meilleurs amis. Il marcha à grandes enjambées, ils ne s'étaient même pas encore assis et traversaient le restaurant pour aller à leurs places habituelles, dans le fond. Mais ce qu'il entendit lorsqu'il fut à deux petits mètres d'eux le glaça sur place : "Ouais, qu'il aille le chercher son portefeuille. Ca fait trois ans qu'on paye rien, c'est pas aujourd'hui qu'on va dépenser le moindre won." Rire narquois. Puis fou rire des deux. "T'as raison, on a pas fini de le faire payer cet imbécile...!"

Min Jae en fit tomber son portefeuille par terre. Deux têtes qui se tournent vers lui. Des regards surpris. Fautifs. "Min Jae, c'est pas ce que tu crois...."

Bien sûr que si.

Premier coup de poignard.

Mercredi 8 avril 2020
Il avait essayé de prendre du recul mais cette histoire lui faisait vraiment mal au coeur. Il pensait s'être enfin trouvé des amis mais ceux-ci n'avaient été intéressé que par son argent. La cruelle vérité était dure à avaler.
Assis dans le bureau du directeur de l'agence, Min Jae n'avait fait qu'écouter d'un air absent sa tante et le CEO lui indiquer qu'il allait signer un nouveau contrat pour promouvoir une marque de téléphone et qu'il allait bientôt retrouver le cheminsdes tournages.
Il s'était levé sans un mot et avait quitté la pièce, s'adossant au mur juste à côté de la porte. Il entendait toute la conversation qui se déroulait derrière la porte....
"Il a l'air complètement à côté de la plaque, qu'est-ce qui lui arrive ?" Un soupir de sa tante. "Trois fois rien. Une histoire d'amis intéressés par son argent uniquement, il chouine depuis lundi... Mais ne vous inquiétez-pas, je vais faire en sorte de le remettre dans le droit chemin. Il sera prêt pour la pub." "Y a intérêt. C'est notre poule aux oeufs d'or.  S'il tire cette gueule lors du tournage de la pub..." "Comptez sur moi. A ce propos, n'oubliez pas de faire le virement sur mon compte." "20% pour vous. 10% pour Min Jae, comme d'habitude."

Il était en train de tomber de haut et sans parachute. Jamais il n'avait entendu sa tante parler ainsi de lui... Comme si... elle le méprisait ? Et cette histoire de pourcentage ? Elle qui lui avait toujours dit qu'elle gagnait un seul pour cent sur les contrats... Au final, c'était 20% ??

Deuxième coup de poignard.

Jeudi 9 avril 2020
Il avait pris l'habitude de se défouler la nuit sur le terrain de basket de la fac, à l'abri du regard de tout le monde, fans, journalistes ou étudiants de l'université. Et il en avait bien besoin après ce début de semaine chaotique. Tout le monde en avait après son argent ? Et lui dans tout ça ? Qui s'intéressait réellement à lui ? Il avait déjà tellement de mal à laisser quelqu'un entrer dans son cercle.... Si en plus les seules personnes en qui il avait accordé sa confiance le trahissaient, qu'est-ce qu'il allait devenir ? Il n'avait absolument personne à qui se confier.
Ca et les lettres anonymes glissées sous la porte de sa chambre depuis quelques semaines. Des lettres de menaces, quelqu'un qui se disait être fan. Des lettres écrites avec du sang où elle lui disait que s'il ne lui appartenait pas elle prendrait des mesures radicales. Il en avait beaucoup des fans bizarres. Ce n'était pas la première fois qu'il en avait des gratinées comme elle mais c'était la première fois qu'on lui écrivait des lettres avec du sang. Les dernières, il ne les avait même pas ouvertes et jetées directement à la poubelle. Ca ne servait à rien d'avoir une quelconque réaction : soit on voulait qu'il ait la frousse, soit on voulait que cela se médiatise et il était hors de question qu'il donne une quelconque attention à ce genre de comportement malsain de sasaeng.

Un dernier tir réussi et Min Jae déposa le ballon de basket sur le banc où il récupéra sa veste de jogging. Il allait rentrer chez lui et ressasser tout ça sous une bonne douche chaude.

"Hey ! Joo Min Jae !"

Il se retourna et vit une silhouette à quelques mètres de lui, emmitouflée dans une veste à capuche bien trop grande. Il plissa des yeux mais ne parvint pas à voir le visage de la personne. Il n'avait pas reconnu sa voix non plus.

"Pourquoi tu n'as jamais répondu à mes lettres ?"

La silhouette s'approcha et Min Jae ne comprit pas tout de suite à qui il avait à faire.

"Je t'avais prévenu pourtant... Je t'avais donné jusqu'à hier..."

Elle avança d'encore quelques mètres, se trouvant maintenant sous la lumière de l'un des projecteurs du terrain. Mais la capuche dissimulait le haut de son visage et Min Jae ne voyait que ses lèvres s'étendre en un sourire mauvais.
Il aurait dû écouter son instinct à cet instant, son instinct qui lui disait de s'enfuir et de s'éloigner le plus rapidement possible de cet endroit.
Mais il la laissa s'approcher encore un peu, elle était proche maintenant. A moins d'un bras de distance.

"Tu es... qui ?" osa-t-il demander.

Le sourire mauvais se transforma en grimace. Il sentait la rage émaner de cette silhouette.

"Je suis QUI ? Tu sais qui je suis ! Tu es à moi, tu m'entends ! A MOI !"

Apeuré, Min Jae était comme paralysé, incapable de prendre ses jambes à son cou ni même d'arriver à respirer. "Tu es à moi"... Il l'avait lue souvent cette phrase ces dernières semaines. Toujours écrite en lettres de sang...

"Et je t'ai prévenu... Si tu ne veux pas être à moi alors... Tu ne seras à personne !"

Un voile blanc venait de passer devant les yeux de Min Jae. Le bruit de sa peau qui se déchire, son souffle qui se perd, la douleur qui se propage. L'instant d'après il était au sol, sa main se tenant le flanc.

Son sang qui tâchait son tee-shirt bleu ciel...

Elle était restée quelques instants immobile avant de s'enfuir.

Lui venait de se prendre son troisième coup de poignard de la semaine. Et celui-là était bien réel.

Quelques semaines plus tard...
Il avait demandé à son agence d'étouffer l'affaire et que personne ne soit au courant de ce qui s'était passé. Deux jours d'hôpital, heureusement rien de vital n'avait été touché. Min Jae s'en sortait avec des points de suture et de sacrées douleurs dès qu'il tentait de se tourner.
Il s'était fait engueuler pour ne pas avoir prévenu d'avoir reçu des lettres de menaces de la part d'une fan hystérique. Il avait dû annuler son contrat pour la célèbre marque de téléphone. Il n'avait pas avoué à sa tante qu'il avait surpris sa conversation entre elle et de le CEO de l'agence juste avant son agression. Min Jae avait l'impression que rien n'allait dans sa vie.
Le vase était plein désormais.
Il avait besoin de respirer, de se retrouver.

Alors voilà comment il se retrouvait depuis quelques jours inscrit dans cette nouvelle université. Il avait demandé à y être transféré : impossible pour lui de continuer à étudier à la SungKyungKwan après ce qui s'y était passé.

De nouvelles têtes, de nouveaux professeurs. Le changement ne faisait pas peur au jeune homme, au contraire, il en avait besoin. Il fallait qu'il reparte de zéro.
Alors il avait annoncé à sa tante faire un break : pas de tournage tant qu'il ne se sentirait pas prêt. Elle n'avait rien dit mais il était sûr qu'elle n'appréciait pas voir la "poule aux oeufs d'or" ne rien lui rapporter pendant quelques temps.
Arriver dans cette fac allait lui permettre de faire le point sur sa vie.

En espérant que les coups de poignard ne soient que de l'histoire ancienne désormais....

Aujourd'hui
Il y avait beaucoup d'eau qui avait coulé sous les ponts. De belles rencontres, un nouveau vent de liberté. Min Jae est encore en phase de reconstruction et les choses avancent petit à petit pas sur certains aspects mais à pas de géant sur d'autres.
Il apprécie sa nouvelle vie, bien que son agence — ayant peur pour son intégrité physique à cause de cette fan qui n'a toujours pas été retrouvée par la police — lui a collé dans les pattes un garde du corps.
Il a bougé du dortoir de la fac pour retourner vivre chez lui, ses fans ayant fini par apprendre dans quelle université il était allé. Il a emmené son colocataire dans ses bagages et il vit désormais avec lui dans son immense appartement.
La vie suit son cours et ses nuits sont toujours bien trop courtes. Entre le tournage de son nouveau drama et les nuits blanches à réviser le kamasutra en compagnie de Soo Jung, Min Jae n'a clairement pas le temps de s'ennuyer. Mais sa vie était parfaite comme ça, pour rien au monde il n'y changerait quoi que ce soit...